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TDS 2018

Publié 14 Septembre 2018 par Thomas Diconne in trail, ultra, montagne

Nous y voilà, l’objectif de l’année. Une course qui me fait rêver depuis des années : un parcours à la réputation sauvage et technique dans un massif qui me fait venir et revenir sans que je ne m’en lasse. La motivation est là. La confiance en revanche, c’est une autre histoire… Cette année 2018 n’est pas brillante : une course en hypo du début à la fin, un trail des forts sur une jambe et des blessures à répétitions. J’ai juste deux sorties à vélo et une grosse sortie en montagne en guise de références, ça ne fait pas lourd… Si on ajoute à ça ma déchirure au mollet qui se rappelle à moi régulièrement et un genou qui a commencé à couiner j’ai un peu l’impression d’aller au casse-pipe…

TDS 2018

Nous arrivons à Chamonix mardi en début d’après-midi et prenons nos quartiers au camping de Montroc, pas le plus confortable mais j’y ai mes repères. C’est réconfortant de ne pas être jeté dans l’inconnu tout de suite. Je jette la tente et quelques affaires pour faire de la place dans le coffre et nous filons immédiatement à Chamonix retirer le dossard. Nous arrivons à 16h pile, en plein dans le pic d’affluence. Pas de bol ! Nous nous mettons dans la file et patientons. Après quelques dizaines de mètres je rentre dans un espace réservé aux coureurs. On approche ! Ahhh… Non en fait, la queue passe derrière un stand, ça va encore être long. La queue se termine enfin! On contrôle ma carte d’identité avant de m’envoyer à un premier stand. On me remet une liste du matériel obligatoire qui devra être contrôlé. En ce qui me concerne j’hérite d’un contrôle du téléphone, de ma veste, de mon collant ainsi que de mes deux frontales et des piles de secours. Je vais chercher un bac, étale mon matériel dedans et repars dans une nouvelle file d’attente. Ca ressemble plus à un aéroport qu’à un retrait de dossards. On ne m’avait pas dit qu’on allait à Courmayeur en avion… Les bénévoles passent en courant en hurlant d’ouvrir nos vestes pour faciliter le contrôle. Plus le temps passe, plus cette ambiance m’exaspère. J’ai l’impression d’être pris pour un jambon. Je fini par arriver vers un bénévole qui contrôle mon matériel, tout baigne. Ouf. J’en profite pour lui demander si je peux remplacer la couche chaude par un tshirt à manche longue de 110g et une veste sans manches coupe-vent. Bien-sûr que non ! Dommage, ça m’aurait été plus utile qu’un pull trop chaud de 200g que je ne porterais jamais mais qui va partir pour une balade de 120km malgré tout. Les règles sont les règles, tant-pis ! Je continue mon chemin de croix, cette fois on me remet enfin mon dossard ! Nouvelle étape : on me met un bracelet que je ne pourrais pas enlever avant d’en avoir terminé. En revanche personne n’est capable de m’expliquer son utilité… Mon sac est pucé et je me dirige vers l’ultime étape de mon périple où on me donne mon tshirt et mes sacs d’allègement. Ca y est ! Je suis finisher du retrait de dossard de la TDS ! Environ 1h30 d’effort sans ravitaillement, je suis proche de l’épuisement et perclus de crampes mais je vais pouvoir aller frimer dans Chamonix avec mon tshirt beginner !

Nous faisons un petit tour en ville avant de remonter au camping finir les préparatifs. Nous mangeons tôt, j’en profite pour briefer Laurence sur le programme de sa journée (et de sa nuit). Je ne vais pas être le seul à en baver.  Je reçois un sms de l’organisation pour m’informer que le départ est repoussé de 2h et que le parcours est modifié. Il fera 123,4km mais nous gagnons environ 500D+ en contournant le passeur de Pralognan. Petite montée de stress, j’ai peur de devoir revoir mes plans mais finalement rien ne change, sauf mes heures de passage qui sont décalées.  Je pointe chaque élément de mes sacs pour être certain de ne rien oublier. Tout m’a l’air prêt. Plus qu’à faire une bonne nuit de sommeil.

Le réveil sonne à 5h15, la nuit n’a pas été formidable mais je me sens plus reposé que je ne l’ai été depuis longtemps. Je sors de la tente et file prendre mon petit déjeuner : pain et chocolat, un peu d’eau pour faire couler et je saute dans ma combinaison trifonction. C’est moche et pas très pratique mais c’est ce que j’ai trouvé de mieux pour éviter les irritations. Je mets un peu de crème solaire sans grande conviction, il fait froid, le ciel est voilé et les prévisions ne sont pas formidables… Cette fois tout est prêt, je vais réveiller Laurence, il est temps qu’elle me descende pour que je monte dans la navette.

Quelques personnes attendent avec nous, le bus est pile à l’heure. Je monte et m’installe dans le fond. Je mets mon buff sur mes yeux et me rendors pour le trajet. J’ouvre les yeux alors que nous rentrons dans Courmayeur, ça grouille de coureurs ! Nous passons devant la dépose des sacs mais le bus ne s’arrête pas, il va chercher un parking assez éloigné. On fait déjà du rab, et pas plat qui plus-est ! J’espère qu’il est compté dans les 123,4km…

TDS 2018

J’arrive au lieu de dépose des sacs et retire mon survêtement et mon pull que je mets dans le sac à destination de Chamonix. Il fait bon finalement ! Le ciel est d’un bleu parfait, c’est assez surprenant. Je me débarrasse de mes sacs et prends la direction du sas de départ déjà bien rempli. Un passage aux stands et je rentre dans le sas en essayant de me mettre dans le premier tiers. L’idée est de ne pas partir vite mais sans me faire coincer pour autant. Un petit 12km/h sur le plat m’irait bien. L’ambiance est très calme dans le sas, tout le monde est concentré. Je suis épaté du nombre d’étrangers. Ca va être difficile de discuter… Les minutes s’égrènent, le départ devient imminent. On nous fait un rapide briefing : les conditions vont être excellentes sur le versant Italien jusqu’au petit Saint-Bernard, en revanche ça va se gâter lorsqu’on basculera côté français. J’espère qu’ils se plantent mais les prévisions n’avaient pas l’air terribles à Bourg Saint Maurice… On balance de la musique dans la sono, l’émotion monte, je ne suis pas loin d’être débordé… Mince / Ouf, ce n’est pas Vangelis (j’aurais versé ma petite larme sinon), j’arrive à me reprendre. On nous passe maintenant pirates des caraïbes, c’est correct comme musique de départ mais les sensations ne sont pas les mêmes… Le décompte commence, c’est parti !

C’est un joli bordel qui commence, tout le monde se marche dessus, il y a des goulots d’étranglement. Le troupeau court, puis marche, puis recours avant d’être à nouveau bloqué. J’en oublie de profiter de l’ambiance et des spectateurs qui nous encouragent. Nous passons dans la rue principale de Courmayeur, je peux enfin me mettre sur le côté pour trouver mon rythme. La marée humaine me force à un train un peu haché mais je peux laisser tourner mes jambes et lever un peu les yeux. Cette fois ça y est, c’est parti pour cette TDS ! Nous repassons devant le lieu de dépose des sacs (hop, une borne qu’on aurait pu s’éviter !) et nous repartons en direction du parking des bus (et hop encore une !). Première inquiétude de la journée, mon GPS fonctionne mais l’altimètre a l’air de déconner, j’espère qu’il va se caller sinon la journée promets d’être longue… Nous montons par la route en direction de Dolonne, personne ne semble décidé à marcher, c’est un peu idiot sachant que dans une centaine de bornes on aura du mal à courir sur le plat mais c’est comme ça si on ne veut pas se faire enfermer dans les bouchons. En passant je reconnais la pizzeria où nous avions mangé avec Olivier et Vincent lors de notre TMB. Il est 8h15 mais j’en salive néanmoins…

Nous quittons la route et arrivons sur le premier chemin. Certains continuent à courir, pour ma part je calme le jeu : j’attrape mes bâtons et commence à marcher. Je sens que je n’ai aucun repère cette année, impossible de retrouver mon pas économique de l’année passée, j’avale la pente à grandes enjambées. Si je continue comme ça je ne donne pas cher de mes cuisses à Bourg Saint Maurice… J’essaie de raccourcir mon pas et de diminuer un peu le tempo mais c’est compliqué quand les autres coureurs ont l’air d’être dans l’effort. Je dépasse une fille au tshirt en coton qui souffle comme un bœuf après seulement trois kilomètres, j’aurais toujours du mal à comprendre ces gens. Nous nous livrons une petite passe d’armes, elle n’a pas l’air décidée à me laisser filer. Je fini par la décrocher sur une relance. Il y a toujours peu d’espace entre les coureurs et les dépassements sont compliqués, j’ai un peu la sensation de fractionner : je marche doucement derrière un groupe avant d’accélérer brutalement quand une occasion de passer se présente.  J’espère que ça ne va pas être comme ça trop longtemps… Je commence à sortir de ma concentration des premiers kilomètres pour profiter du paysage. Il faut lever les yeux pour passer outre les remontées mécaniques et les pistes de ski, mais sinon le paysage est magnifique.

La pente est douce et sans aucune technicité, c’est idéal pour chauffer les muscles en douceur et me rassurer sur mon état général. Si les voyants ne sont pas tout à fait au vert, ils n’en sont cependant pas loin. Pour ce qui est de la forme, je ne me sens pas dans un grand jour mais l’énergie est là. A défaut d’aller vite ça devrait aller loin. Le ciel bleu et la forme relative me font voir les choses positivement, je suis serein, convaincu de pouvoir aller au bout, le doute n’a pas sa place dans ma tête. Comme pour confirmer tout ça mon altimètre fini enfin par se caller ! Nous montons moins vite que ce que je pensais mais peu importe, tout va bien pour le moment.

J’arrive au premier ravitaillement liquide, il y a néanmoins de quoi grignoter. J’attrape un peu de pain, de fromage et de charcuterie italienne, un régal ! J’ai bien entamé mon bidon d’eau claire, je refais le plein et repars en remerciant les bénévoles. Direction l’arrête du mont Favre à présent.

Nous attaquons le premier single de la journée, les pistes de ski sont désormais derrière nous, la vue sur le massif est magnifique, j’en oublierais presque de regarder mes pieds. Pour la première fois depuis le départ j’arrive à discuter un peu avec un coureur, ça fait plaisir. Il va moins vite que moi, dommage. Je reconnais cette partie que nous avions empruntée lors du TMB, on aperçoit le sommet au loin. Ca ne va pas grimper fort mais ça va être long et ponctué de relances. Je profite du premier ruisseau venu pour tremper ma casquette, il fait chaud pour l’instant. Maintenant que la course est bien lancée j’essaie de m’astreindre à m’alimenter à intervalles régulier : une barre énergétique toutes les 45 minutes et un peu de boisson toutes les 5 à 10 minutes selon l’effort en alternant eau et boisson énergétique. Un hélico nous suit, certains font coucou, moi ça m’énerve plus qu’autre chose, j’aimerais bien pouvoir profiter du calme de la montagne. Nous passons au-dessus d’un petit torrent, j’en profite pour mouiller ma casquette et m’arroser un peu. J’aimerais éviter de prendre un coup de chaud. Ca y est, on aperçoit le lac combal en contrebas ! La distance qui me sépare de l’arrête diminue rapidement, ça fait du bien au moral. Les dernières pentes passent comme une lettre à la poste.

Me voilà dans la descente, j’y vais tranquillement, pas question de me bruler les quadris maintenant. La première partie du chemin est assez large pour dépasser, c’est l’occasion de tester mes sensations. Ma dernière sortie en montagne était tellement relevée que je n’ai plus peur de beaucoup de chemins. Ce que je sentais se confirme, tout va très bien aujourd’hui, mon pied est sûr et je me sens en confiance. J’ai l’impression d’être parti pour une très longue balade ! Le sentier devient finalement  étroit, difficile de dépasser mais le rythme du petit groupe que je rejoins me va bien. Nous arrivons en bas et rejoignons la piste pour 4x4 où des spectateurs nous attendent et mettent l’ambiance. Je remercie tout le monde en passant.

Plus qu’à remonter au ravito. C’est très roulant, j’en profite pour relancer. Je gardais un souvenir déçu du lac Combal, mais ce second coup d’œil me fait plaisir. Si le lac en lui-même n’a rien d’exceptionnel, la petite zone marécageuse en dessous est superbe, pleine de couleurs. Encore un souvenir du TMB : j’aperçois le refuge Elisabetta Soldini où je m’étais plâtré l’estomac à coup de polenta. Je suis vraiment ravi d’être ici. Les tentes de ravitaillement m’attendent un peu plus loin, en attendant je prends modèle sur la coureuse devant moi en passant sur une portion bétonnée pour économiser un peu mes plantes de pieds. Encore quelques foulées et me voilà au premier gros ravitaillement. Déjà 16km derrière moi.

C’est le moment de rebrancher le cerveau et de ne rien oublier. Je termine ma boisson énergétique en grignotant un peu de saucisson, du fromage et quelques tucs. Je refais le plein en eau, en isostar et en barres énergétiques et c’est reparti. Direction le petit Saint-Bernard en passant par le col Chavannes à présent.

Je ne trottine pas longtemps, le chemin commence rapidement à grimper et c’est plutôt pentu. J’y vais d’un pas tranquille en profitant du paysage. Je grappille quelques places dans cette montée même si je sens que les 1200m de dénivelé de l’arrête du mont Favre sont là. Après quelques lacets je débouche sur un grand plateau où on nous demande de ne pas couper pour ne pas dégrader les lieux.

C’est assez plat et très verdoyant, c’est sans doute ce cadre magnifique et l’idée de bientôt retrouver Laurence qui me donnent envie de gambader. Je me sens en pleine forme et je remonte quelques coureurs. Je cherche à repérer le chemin du col Chavannes mais pour le moment je ne vois pas bien par où nous allons passer, en revanche j’aperçois le col de la Seigne.

Le moment de récup se termine et la montée reprend, toujours rien de très compliqué mais il faut continuer à un petit rythme économique et ne pas se laisser griser par la bonne forme actuelle. Je continue de dépasser un peu de monde mais les rangs se sont bien éclaircis depuis le départ, je dois commencer à trouver ma place. Je passe une partie de la montée dans mes pensées, l’altimètre grimpe doucement. Je veille à rester hydraté et à grignoter de temps en temps. Pour une fois je n’ai pas besoin de me forcer pour manger, j’ai l’impression que les paquets de gâteaux que j’ai ingurgités en juillet et août ont augmenté ma tolérance au sucre. Je fini par déboucher sur le panneau qui marque le col, c’est passé comme une lettre à la poste.

Presque 22 Km au compteur, encore 14 avant le petit Saint-Bernard. La montée ne fait que 400m, la descente risque d’être longue ! J’ai bien regardé les altitudes sur le profil mais j’ai complètement oublié de regarder les distances intermédiaires, je ne sais pas dans quoi je m’embarque. En tout cas le début de la descente est très doux, ça risque d’être long ! Je trottine sans pousser la machine, toujours perdu dans mes pensées. Un coureur me dépasse, je sors de ma bulle, conscient d’être dans un faux rythme. Je relance un peu et prends sa roue, les jambes se remettent à tourner à une bonne cadence mais je veille à ne pas m’emballer. Le tempo est bon, autour de 4’30 au kilomètre. J’avance vite en poussant un tout petit peu. Certains descendent tombeau ouvert, d’autres se trainent. Pour ma part j’essaie de tenir un petit compte du nombre de places gagnées et perdues pour voir dans quelle dynamique je me trouve. Pour chaque place perdue j’en récupère environ trois. C’est bien !

Les kilomètres s’enchaînent mais l’altimètre ne bouge presque pas, c’est très monotone. Si la vue du sommet était chouette, elle n’évolue plus beaucoup à présent. On s’enfonce doucement dans la vallée en suivant ce chemin sans technicité. Au moins ce sont des kilomètres qui ne pèseront pas trop dans les jambes. Un Italien pas tout jeune déboule devant moi avant d’être apostrophé par une connaissance sur le chemin. Je ne comprends pas grand-chose à l’échange à part quelque chose du genre « déparo tranquilo », vu son rythme actuel il a l’air de bien cavaler ! Je vais essayer de le suivre un petit moment, ça devrait être un bon lièvre.

L’altitude descend tout doucement mais la température remonte bien et mes réserves d’eau diminuent plus vite que ce que j’aimerais. Un point d’eau nous tend les bras alors que je commence à stresser à l’idée de manquer de liquide dans la montée. Je recharge et profite de l’occasion pour bien m’arroser. Un peu de fraicheur ne fait pas de mal ! A peine reparti et voilà que nous quittons le chemin blanc pour une première vrai belle descente : pentue, glissante et un peu technique. Un régal après pratiquement neuf bornes sans relief. Cette fois je laisse les jambes tourner comme elles le désirent, un peu de plaisir ne peut pas nuire. Un peu moins de 100m plus bas nous enjambons un pont au-dessus d’un torrent, la suite est ponctuée de cascades, c’est superbe !

La montée débute avec pas mal de faux-plats, je profite de la forme actuelle pour relancer un peu et récupérer quelques places au passage. Un petit caillou me titille l’arrière du pied, j’hésite à le retirer tout de suite mais je préfère attendre qu’il se calle au fond de ma chaussure. On entend une grosse ambiance un peu plus haut : tambours, cloches et encouragements. Une petite troupe nous attend à la sortie du chemin pour nous encourager, je remercie tout ce petit monde avant de filer dans une descente. Cette fois le caillou fait plus que me titiller, pas question de continuer comme ça. Je perds une grande partie des places grappillées dans la descente juste avant d’attaquer la montée vers le Saint-Bernard. Elle n’avait pas l’air raide sur le papier mais ça monte tout de même plus que ce à quoi je m’étais préparé. Je récupère les places perdues en mettant des coups d’accélérateurs lorsque le chemin s’élargit, je force un peu plus que prévu avec ce rythme saccadé et en passant par des portions plus raides du chemin mais je n’ai pas envie de trainer en route, d’autant plus que j’ai dit à Laurence que je serais au ravitaillement vers 12h30. La montée alterne pentes raides et portions planes, une spectatrice nous indique que le lac est au prochain palier. Chouette ! J’irais bien faire trempette…

Le col nous tend les bras derrière le lac, il ne reste qu’à en faire le tour. Derrière, les nuages pointent le bout de leur nez. Le passage en France risque d’être moins agréable. J’ai un peu peur de savoir ce qui nous attend au Cormet de Roselend… Le tour du lac passe rapidement, j’ai un peu fait le yo-yo avec mon lièvre mais il entame la dernière grimpette juste devant moi. C’est très raide, mon mollet blessé n’apprécie pas le traitement et se rappelle à mon bon souvenir en me lançant de petites décharges. Ça risque d’être problématique dans la montée vers le Cormet et dans l’ascension du col de Tricot… On verra ça plus tard, tout va bien pour le moment, je suis en pleine forme et Laurence m’attend un peu plus loin. Je suis ravi de la voir pendant que je suis en pleine forme, ça changera de ma déshydratation de l’échappée belle et de mon vomi du Verbier Saint-Bernard ! J’avale la montée à un bon rythme, le sourire jusqu’aux oreilles. Si quelqu’un pouvait faire quelque-chose pour ces pieds de myrtilles qui me griffent les mollets par contre ce serait sympa !

J’arrive au col avec une ambiance de tour de France, j’essaie de remercier le public tout en cherchant Laurence. Impossible de la repérer, elle doit m’attendre du côté du ravitaillement. Toujours aucune trace, curieux ! J’arrive sous la tente, j’attrape à nouveau des tucs, du fromage et du saucisson. J’avale un petit peu de sucré au passage et refais le plein de mes bidons. L’isostar était vraiment répugnant, j’hésite un petit moment avant de le remplacer par du coca. Ça va mousser mais je sais que ça passe bien dans l’effort. Les pires désagréments seront pour mes compagnons de route qui risquent d’entendre quelques rots bien gratinés.

Je quitte le ravitaillement à la recherche d’une Laurence toujours introuvable. Peut-être un peu plus loin ? Mon moral baisse à vue d’œil, elle n’est pas là et de gros nuages de fin du monde nous attendent à Bourg-Saint-Maurice. Je ne sais pas quand ça va craquer mais on risque de passer un sale moment… Je longe la route du col en espérant toujours apercevoir Laurence mais rien n’y fait, nous nous sommes loupés. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé sur la route…

La descente commence. La température a chuté, le vent s’est levé et les nuages se sont bien rapprochés.

Je crois sentir une goute.

Je suis certain d’avoir senti une goute. Puis deux. Puis trois. Merde ! Ca va craquer ! Je jette mes bâtons par terre, je sors mon sac imperméable du sac. Zut ! C’est le mauvais ! Ca commence déjà à mouiller. J’attrape l’autre sac et en sort ma veste imperméable. Le vent ne m’aide pas à l’enfiler mais je fini par me mettre au sec. Je remballe le matériel, me ré-harnache et c’est reparti avec le vent dans le nez et la pluie dans les yeux. Je n’y vois rien, impossible de garder les yeux ouverts, il faut que je trouve un truc. J’essaie de mettre ma capuche mais j’ai oublié de poser ma casquette et mes lunettes. Je remets ma casquette à l’endroit et baisse la visière au maximum pour me protéger de la pluie, je passe la capuche et les lunettes par-dessus. Je ne dois pas avoir l’air bien malin mais je me fais moins fouetter le visage et j’arrive à voir mes pieds.

La partie qui m’attend risque d’être importante pour la suite : 15km et 1400m de dénivelé négatif. Il y a de quoi se griller physiquement et musculairement, je vais descendre sans trop me freiner mais sans pousser pour autant. Il faut absolument que je garde des cuisses pour le double kilomètre vertical qui se profile.

J’essaie de profiter de ce moment. J’étais ravi à l’idée de passer par là et de pouvoir en profiter un peu plus que lors de notre TMB à vélo mais ce petit Saint-Bernard ne veut définitivement pas de moi. Deux fois que j’y passe, deux fois que je me fais arroser au sommet. C’est beau mais c’est hostile ! Les torrents que j’avais repéré à mon premier passage sont toujours là mais j’ai toujours autant de mal à les apprécier !

Je tiens à nouveau un petit compteur des places gagnées et perdues, cette fois le ratio est clairement bon, je dépasse beaucoup de coureurs qui commencent à fatiguer et pratiquement personne ne me dépasse. La pluie semble se calmer et le ciel bleu nous attend à Roselend. L’altitude ne descend pas à toute vitesse mais c’est nettement mieux qu’au col Chavanne, d’autant plus que le chemin est légèrement plus technique. Le moral remonte en flèche, j’ai loupé Laurence mais elle sera là bientôt (enfin j’espère, sinon pas de sac d’allègement et le temps va commencer à me paraître long !).

Les kilomètres défilent, l’altitude descend et nous traversons Saint-Germain sous un soleil retrouvé. Je garde mon coupe-vent au cas-où mais il recommence à faire chaud. Un gruppetto se forme et nous abordons une descente plus pentue vers Séez. J’apprécie beaucoup la fin de cette descente, le terrain est souple et la pluie de tout à l’heure a apporté une humidité bienvenue. J’arrive en bas de la descente en compagnie d’un coureur avec qui je commence à discuter. L’un comme l’autre nous nous étonnons de la facilité du parcours jusqu’à présent. La TDS est pourtant réputée sauvage et technique, ou les choses vont se corser, ou ça va être une partie de rigolade !

Le clocher de Bourg Saint Maurice nous toise de loin mais nous approchons tranquillement. Nous traversons un parc au bord de l’Isère tandis qu’un troisième coureur se mêle à notre discussion. J’ai l’impression de faire mon footing du dimanche matin.

Cette fois ça y est, le terrain s’urbanise. Je passe devant le restaurant où j’ai bouclé le TMB Vélo avec Yann, je salive à l’idée des glaces que nous nous étions envoyés… Nous passons devant la gare et entrons dans le centre-ville, le ravitaillement est juste-là, de même que Laurence, enfin ! Je suis ravi de la retrouver, je l’embrasse et file l’attendre au ravitaillement. Nous trouvons une table où nous installer et je file chercher de quoi grignoter : pain, fromage, saucisson et tucs. Je retrouve dans mon sac un sandwich que je m’étais préparé pour l’occasion : emmental et jambon cru. Miam ! Je croque dans tout ce qui passe en débriefant mon début de course avec Laurence. La pauvre est plus tendue que moi, elle a eu des bouchons sur la route et m’a manqué au Saint Bernard à cause d’un camping-car qui n’avançait pas dans la montée. Finalement nous faisons notre assistance mutuellement à ce ravitaillement ! J’essaie de la détendre pendant qu’elle s’assure que tout va bien pour moi. C’est un très bon moment qui me permet de bien recharger les batteries. Comme ma montre ne tiendra pas la charge pendant toute la course je la lui échange contre la sienne. Je la récupérerais à Roselend pour terminer. Je repars, le moral regonflé à bloc.

Je me fais arrêter avant la sortie du poste de ravitaillement : contrôle du matériel obligatoire. C’est gavant de devoir tout déballer mais tout le monde doit-y passer. Je sors mon téléphone, ma veste fraichement rangée et mon pantalon de pluie. Je range tout ce petit monde et en route cette fois.

Je trottine dans le centre-ville avant de commencer à grimper. La pente est douce mais je sens mes cuisses peser. Je me souviens avoir dit moins de cinq minutes auparavant que la dernière descente allait laisser des séquelles chez les coureurs, je ne pensais pas vivre l’expérience à ce moment-là. J’ai 2000m à grimper, j’ai le temps de me refaire ! Je m’engage sur un petit chemin qui grimpe sec. A ce niveau on ne parle plus de sécheresse mais d’aridité. C’est très raide, et au vu du profil ce n’est pas juste un coup de cul. Aie, ça va bruler les cuissots ! J’entame la côte sur un rythme un peu élevé puis je calme le jeu progressivement, à mesure que le cœur monte dans les tours. La fraicheur apportée par la pluie s’est dissipée, le soleil a repris ses droits, ça cogne ! Je ne suis pas le seul à ne pas être à la fête, tout le monde en bave dès les premiers mètres d’ascension.

Je suis parti depuis moins de dix minutes mais j’ai déjà la gorge sèche. J’attrape une flasque et constate que j’ai oublié de refaire le plein. Mince ! Quel blaireau ! Au moment le plus important ! J’espère qu’il y aura un ravitaillement improvisé en route… Quelques lacets plus haut mon souhait est exaucé : une source nous attend dans un des hameaux traversés. Je refais le plein et m’arrose copieusement. Avec cette chaleur, cette montée promet d’être un vrai calvaire.

Je repars régénéré et la tête plus légère, le rythme s’en ressent immédiatement.  Je dépasse quelques coureurs avant d’entendre une voiture me klaxonner alors que je traverse un hameau, c’est Laurence ! Un petit coucou et je continue ma route pour la retrouver quelques lacets plus haut. C’est top de pouvoir la voir souvent ! Je retrouve une route qui redescend, ça va me permettre de me refaire une santé. Je dépasse deux coureurs avant commencer à trouver cette descente un peu longue, je guète le moment où nous remonteront. Je guète. Je guète toujours. C’est long. Très long. L’altitude baisse à vue d’œil. Le moral aussi. Il va falloir tout remonter… Au bout de quelques longs kilomètres je débouche sur un poste de contrôle et je retrouve la route du col. Laurence m’attend à nouveau un peu plus loin avec une petite pancarte d’encouragements. Je dois commencer à fatiguer car je sens que je suis à fleur de peau, l’émotion monte vite. Je l’embrasse rapidement et repars immédiatement, j’aimerais éviter de fondre en larmes au milieu de la montée !

Encore un petit bout de route et la montée reprend. Ca grimpe fort à nouveau et je ne suis pas au sommet de ma forme. Il fait lourd, et, entre l’humidité et la chaleur on a l’impression de courir sous un climat tropical. Tout ce que je déteste ! Il va falloir gérer cette montée si je veux tenir le coup. Je rattrape une fille et décide de me caler derrière elle, son rythme est régulier et plutôt bon sans être élevé, ça devrait me permettre de récupérer un peu sans avoir à trop réfléchir. Deux espagnols nous suivent un moment puis dépassent en courant. J’en profite pour commencer à discuter un peu avec Marion. Nous faisons des arrêts boisson dans tous les hameaux traversés, la chaleur nous fait du mal. Chaque montée est suivie d’une descente équivalente qui me ruine le moral, j’ai l’impression de faire du sur place et que je ce col n’aura jamais de fin. Comme cette portion du parcours a été modifiée en raison des orages je ne sais pas dans quoi je suis en train de naviguer et je n’aime vraiment, mais alors vraiment pas ça. Je commence à ne pas me sentir très bien et pour couronner le tout mon mollet me chatouille dans les pentes raides. Pour la première fois depuis le départ je commence à douter. Je continue néanmoins à marcher avec Marion jusqu’à ce que nous débouchions sur un chalet dont le propriétaire sert de l’eau au coureur. Nous nous arrêtons et profitons de ce ravitaillement improvisé. Je commençais à avoir des nausées, ça ressemble à une hypo. Je décide de faire une petite pause ici le temps de récupérer. J’attrape un mini snickers glané au dernier ravitaillement : du gras, du sucre et plein de saloperies qui devraient me redonner du jus. Il est bien fondu et pas appétissant pour un sou mais je l’avale malgré tout en faisant passer le goût à grands renforts d’eau. Notre bienfaiteur nous explique que nous allons redescendre une nouvelle fois pour remonter. J’ai le moral dans les chaussettes. Je commence à avoir froid, j’ai peut-être un peu trop trainé. Je me remets en route.  Je réaliserais un peu plus tard que j’ai manqué de lucidité, c’était un contrecoup de l’hypo.

J’ai un peu de mal à remettre la machine en route mais la nausée est passée et la sensation de froid se dissipe peu à peu. J’alterne course et marche mais je sens mon état s’arranger petit à petit, ma lucidité me revient dans une petite descente juste avant de retrouver la route du col où de nombreux spectateurs nous attendent, de même que Laurence. Je marche un peu avec elle en lui expliquant que j’ai connu des jours meilleurs mais que cette portion de route devrait me permettre de récupérer. Je traverse un point de contrôle et continue sur la route. La pente est douce et permettrai de courir s’il n’y avait plus qu’à monter à Roselend. Je décide de marcher rapidement pour le moment.

Je rattrape un coureur avec qui je commence à discuter. Il a l’air encore plus mal que moi, cela me permet de relativiser et de me dire que je ne suis pas si mal finalement. Nous discutons de la suite du programme alors que Laurence nous dépasse avec des encouragements. Ca y est, j’ai retrouvé le moral et le doute n’est plus à l’ordre du jour. C’est du grand délire, il y a plein de public au bord de la route. Si ce n’est pas la plus belle portion du parcours elle est néanmoins riche en émotions. Je passe un excellent moment. Un panneau pour les cyclistes nous annonce que le prochain kilomètre sera à 1%, chouette ! Un coureur me dépasse en trottinant, je souhaite bonne route à mon compagnon et attrape sa roue. Nous nous mettons rapidement à discuter. Cette partie routière n’est ni technique ni sauvage mais offre de jolis points de vue et permet de se refaire une santé avant d’aborder les dernières difficultés. Je ne pensais pas dire ça aujourd’hui mais je suis ravi de monter par la route !

Mon nouveau binôme et moi discutons bien, nous cherchons le sommet qui semble encore assez loin. Nous voyons maintenant le col du Bonhomme, le raccourci pour les Contamines est tentant ! Nous quittons la route du col pour nous diriger vers les Chappieux, encore un peu de plat, nous en profitons pour relancer et dépasser quelques coureurs. Je ne connais pas cette portion du TMB mais la grimpette qui s’annonce est plutôt raide d’après mon collègue, nous grignotons un peu pour ne pas manquer de jus.

Nous retrouvons enfin un chemin qui monte fort avant de se calmer et de céder la place à une pente douce en lacet. Nous nous disons que si la suite n’est pas plus compliquée, ça va être du gâteau jusqu’au Cormet ! J’ai bien mis à profit le bout de route pour me remettre en selle, j’ai les jambes qui frétillent et je m’échappe. Je dépasse quelques coureurs dans cette côte avant de doubler une petite mamie en randonnée. Celle-ci a l’air d’avoir envie de parler et m’explique qu’elle suit les coureurs de la PTL, elle m’explique tout leur itinéraire avant de me dire que ça semble plus difficile que l’année où elle l’avait faite. Gloups. Ça rend modeste. Ma future veste finisher ne vaut pas grand-chose par rapport à la sienne ! Je lui souhaite bonne route et remet un petit coup d’accélérateur, il ne reste plus grand-chose avant Roselend, j’ai hâte d’arriver là-haut !

La fin du chemin se déroule sans accroc et me revoici sur la route. Il y a moins de voitures d’accompagnants qu’en bas mais la motivation est toujours là. Il reste environ 3Km de route avant le sommet, en marchant d’un bon pas ce sera une formalité. Un panneau m’indique le prochain kilomètre à 8%, pas question de courir là-dedans. Je rattrape deux coureurs dont un qui me donne une impression de déjà-vu. Plus j’approche et plus je suis certain qu’il s’agit du coureur que j’ai lâché sur la route en contrebas. C’est étrange qu’il soit devant moi sachant que personne ne m’a dépassé depuis plusieurs kilomètres. Le petit roublard a dû se faire monter en voiture ! C’est tellement minable que j’en souris, je vais me faire un plaisir de le laisser sur place. Il a malgré tout l’air d’avoir bien récupéré, il alterne marche et course. J’accélère la cadence de mes jambes, je suis remonté comme une pendule, bien décidé à me l’offrir sur un plateau. Une petite portion roulante me permet de trottiner un peu et de passer devant. J’hésite à le chambrer un peu en passant mais j’aime mieux garder mon calme, je me sens trop bien, je suis trop certain d’aller au bout pour gâcher cet état d’esprit.

Me voici dans une longue ligne droite avec l’objectif en ligne de mire. Il reste encore un bon bout de marche mais j’avance à un super rythme. Je rattrape une fille que j’avais doublée peu avant mon hypo et que j’avais revu passer depuis mon ravito de fortune. Encore un petit coup de pouce pour mon moral, le temps perdu à cause de ce coup de mou est récupéré, je suis à nouveau dans une bonne dynamique. Le col est en vue, les spectateurs sont à nouveau présents. Un mec me crie que c’est la fin du marathon de Paris, que les chemins reviennent. Dommage, je le trouvais plutôt pas mal cet écotrail ! Je traverse le parking sous les encouragements qui me redonnent le sourire, je suis à la limite de l’euphorie, tout va trop bien ! Je retrouve Laurence qui m’accompagne sur quelques mètres avant de me laisser rentrer dans la tente de ravitaillement, je la retrouverais à l’intérieur.

La tente est face à moi mais il faut d’abord en faire le tour en passant par une petite butte. Ce détour inutile me mets en rogne. « Alors ça c’est méchant pour être méchant ! » Une dame a l’air de faire le même constat que moi. J’ai faim, je monte et redescend en notant que mes quadris commencent à tirer méchamment. A peine entré dans la tente, une bénévole me tend mon sac d’allègement. Incroyable, je n’ai rien demandé ! Je la remercie chaleureusement et file à la table de ravitaillement, ravi de trouver un coin chaleureux. J’essaie d’être aussi sympa que possible avec les bénévoles pendant que je me restaure. Le menu varie peu : fromage, quartiers d’orange, tucs. J’ai juste arrêté le saucisson qui commence un peu à m’écœurer.  J’emporte quelques trucs à grignoter avant d’aller chercher Laurence qui n’est pas encore arrivée. Je fini par la repérer dans un coin et je commence à débriefer cette section. Je vois à ses yeux que je me suis bien retapé sur la fin du col, ça me fait plaisir et me fait déborder de confiance. Les 50 derniers kilomètres vont être une partie de plaisir ! Je récupère ma montre, change de buff et ajoute une petite veste légère à mon sac en prévision de la nuit. Laurence me fait remarquer qu’ils servent de la choucroute, de la tartiflette et autres joyeusetés à ce ravitaillement. J’aurais presque envie de rester ripailler ici ! Je file refaire le plein en boisson et plaisante encore un peu avec les bénévoles, je profite encore des encouragements de Laurence et me revoilà en route.

Cette fois direction le col de la Sauce. Je pars en marchant du ravitaillement avant de relancer la machine. Tout répond encore assez bien, seules les cuisses commencent à être lourdes. Je vois deux coureurs faire une pause technique au détour d’un virage, ma vessie qui me titille depuis le Saint Bernard commence à faire des bonds, je saute sur l’occasion. Je me demande pourquoi j’ai attendu si longtemps… La montée commence avec des pentes douces, rien de plus difficile que sur le col routier finalement. Je reprends mon rythme de marche rapide et commence à dépasser des coureurs, j’ai l’impression de faire une longue balade tellement je suis bien ! La pente augmente un peu mais les sensations restes les mêmes, j’avance régulièrement en remontant sur pas mal de monde. Le terrain devient un peu plus instable, gras et labouré mais cela n’entame pas ma confiance, je suis bien dans ma bulle. L’altitude et les kilomètres défilent, je suis content de bien avancer car j’aimerais faire le plus de chemin possible avant la nuit. Je ne sais pas ce qui a changé en moi en un an mais j’ai toujours appréhendé l’idée de passer la nuit dehors après 10 à 15h d’effort. Aujourd’hui  je me sens serein, au contraire, l’approche de la nuit m’excite, c’est une nouvelle aventure qui commence !

Je passe le col et commence à m’interroger sur l’heure qu’il est, il devrait rester 1h30 de jour et pourtant j’ai envie de mettre ma frontale tellement je n’y vois rien. Soudain un éclair traverse le ciel, le grondement du tonnerre ne se fait pas prier pour suivre. La vache ! C’était tout près ! Je ne l’ai absolument pas vu venir celui-là ! Je file dans la descente en attendant de voir comment les choses tournent. A nouveau la température a chuté, le vent me souffle dans les bronches et les premières gouttes se font sentir. Je retire aussi vite que possible tout mon attirail, chope ma veste, l’enfile en urgence, je remonte le zip aussi haut que possible et repars. Trop vite pour moi, d’énormes gouttes de pluie se mettent à tomber et passent dans ma veste pas encore fermée. La pluie est immédiatement remplacée par des grêlons de 5mm qui me fouettent presque à l’horizontale. Je repars en courant en me protégeant le visage avec la visière de ma casquette et en utilisant mes lunettes comme d’un petit casque de fortune. Par contre pour mes cuisses à nu il n’y a rien à faire, c’est horriblement douloureux. Quelle poisse ! Tout allait si bien ! Je m’imagine déjà calancher pour un peu d’eau, du froid et des grêlons. Hors de question ! Il n’y a pas de quoi s’abriter, tant pis ! Je vais serrer les dents, filer d’ici et attendre que ça passe. Je repense à la Swiss Peaks qui s’était déroulée dans des conditions difficiles et où j’ai pourtant très bien tourné. Si je l’ai fait je peux le refaire ! Et puis je commençais à trouver cette TDS un peu trop facile, voilà qui pimente un peu les choses ! Voilà que j’ai presque le sourire, je descends aussi vite que possible en profitant de la vue. Désormais on pourra rebaptiser ce lieu col de la Saucée…  Ce coin est très sauvage, je suis ravi de le découvrir. Je m’imprègne encore un peu de ces paysages avant que la nuit n’arrive. La grêle se calme, puis c’est au tour de la pluie de tirer sa révérence. Deux bénévoles attendent un peu plus loin pour nous signaler un secteur glissant. Je leur lance un « on n’est pas bien là ? » qui les fait bien rigoler et je me lance dans la portion compliquée. C’est glissant mais c’est superbe ! Un petit passage taillé dans la roche au-dessus d’une gorge. On entend le torrent déchainé en dessous. Moment magique. J’approche un peu du bord pour profiter à fond de l’instant. Bon, ça commence à glisser, je vais peut-être arrêter mes conneries et regarder mes pieds. Le terrain redevient stable et je redescends un peu de mon nuage, mes cuisses tirent, les descentes commencent à picoter. J’aperçois la Gittaz un peu plus loin, Laurence m’y attend peut-être, je vais y aller doucement d’ici là. Un coureur fini par me rattraper, je le suis un petit moment avant de le laisser filer lors d’un passage à gué. J’ai beau être trempé, je n’ai pas envie de mettre les pieds dans le torrent. Je trouve un coin pour traverser sans trop me mouiller et passe la petite bosse qui m’amène au hameau. La route de la Gittaz a plus l’air d’un chemin pour 4x4, j’abandonne toute idée de voir Laurence ici. Elle m’attend pourtant un peu plus loin ! La pauvre, elle n’a pas dû se marrer pour venir jusque-là… Je prends le temps de me ravitailler en discutant un peu. La route n’a pas été de tout repos pour elle non plus, sans compter l’orage. Je sors ma frontale du sac et lui dit à tout à l’heure aux Contamine. Vu mon rythme dans le dernier col j’y serais peut-être plus vite que prévu !

Un point d’eau m’attend à la sortie du hameau, je recharge mon bidon et repars. Un coureur m’interpelle pour me dire que mon sac est ouvert. Il essaie de le fermer mais la fermeture a ripé. Il la calle à la moitié, le matos ne devrait pas se sauver. Je regarderais ça au col du Joly. Pour le moment je préfère ne pas trainer et avaler le plus de terrain possible avant la nuit. Je profite encore un peu du paysage pendant que je peux voir les montagnes tout en commençant l’ascension du col est de la Gittaz. 650m de dénivelé et une pente qui a l’air assez roulante sur le profil, pas de quoi m’effrayer. J’essaie de mettre un peu de rythme mais le sol est maintenant gorgé d’eau, je glisse à chaque pas et ma progression est ralentie. La fatigue se fait peu à peu sentir et mon pas bien tranchant dans le col de la Sauce me paraît bien loin. Je fais le dos rond en attendant que le coup de moins bien passe. Je gagne et perds des places à la fois, mes comptes semblent s’équilibrer. Tant que les choses resteront en l’état tout ira bien. Nous retrouvons un chemin blanc, la pente se fait plus douce et les appuis plus stables, cela me permet de retrouver un pas plus conquérant et je récupère un peu de terrain sur les coureurs qui venaient de me dépasser. Un panneau indique le sommet du col à 2 km, on devrait  rester sur ce petit chemin facile jusque-là, très bien, encore une occasion de me refaire ! Je m’alimente pendant que le terrain est facile et passe un poste de contrôle. Le dernier kilomètre nous ramène à un vrai chemin de montagne plus pentu et boueux. Pas de coup de moins bien cette fois et je monte à un bon tempo. La nuit est toute proche à présent, toutes les frontales sont allumées sauf la mienne, je mets un point d’honneur à passer le sommet sans l’allumer. Mes yeux s’habituent peu à peu à l’obscurité et je ne vois pas le besoin de m’éclairer alors que j’arrive au col. Je profite une dernière fois du panorama avant que l’obscurité n’avale tout et je me lance dans la descente.

Le terrain est très gras de ce côté, les appuis sont vraiment mauvais. Le début de la descente n’a pourtant rien de compliqué mais la pluie a transformé le sol en patinoire. Si c’est comme ça jusqu’aux Houches ça ne va pas être une partie de plaisir… Je rattrape deux coureurs et suis obligé d’allumer ma frontale si je veux voir mes pieds, leurs faisceaux ont désaccoutumé mes yeux. Dommage, c’était agréable ! Je règle ma frontale sur la puissance minimale, ça suffira. Je les suis un moment avant de les lâcher sur du plat. Le sol est gorgé d’eau, et le passage de petites zones humides n’a rien d’agréable, j’enfonce jusqu’à la cheville et me retrouve avec les pieds trempés. Je commence à ne pas me sentir très à l’aise dans cette portion, mon profil a été complètement effacé par la pluie et je ne me souviens pas bien de ce qui m’attend. Je crois qu’on enchaine quelques petites montées mais je ne suis sûr de rien. Je déteste être dans l’inconnu. J’essaie de repérer les frontales dans la montagne pour me donner une idée du trajet qui m’attends. Ça a l’air de remonter un peu et de partir de l’autre côté de la montagne. Aucune idée de ce qu’il me reste à faire pour aller au ravitaillement mais je visualise la prochaine difficulté, c’est déjà ça.

J’attaque la montée, la fatigue est bien là mais les jambes tiennent le choc. Je commence à être content d’avoir mes bâtons, j’ai l’impression que le dénivelé compte double à présent. Je reviens progressivement sur la frontale qui me précède avant de la voir se sauver au détour d’un virage. Celui-ci marque la fin de la montée après un petit passage technique. J’aperçois le ravitaillement droit devant. C’était moins long que ce que je craignais, le sourire et le moral reviennent. Je ne suis pas encore franchement épuisé mais mes émotions commencent à faire le yo-yo… Je rattrape le coureur devant moi puis nous nous retrouvons à trois lorsqu’un autre coureur nous rejoint. Même si le groupe se disloque au bout de quelques minutes ça fait néanmoins du bien de discuter un peu après plus d’une heure en solitaire. Nous entendons un haut-parleur installé à côté de la tente, je me demande s’il y a du public à cette heure… On doit approcher des 22h et je ne vois pas de remontées mécaniques fonctionner, je suis assez curieux de voir ça !

J’arrive finalement devant la tente, un bénévole me souhaite la bienvenue alors qu’il reste une petite montée. Ça sent le ravito sympa ! Je suis un peu déçu en entrant, il y a beaucoup de bruit pour pas grand-chose finalement. L’ambiance parmi les bénévole a l’air excellente, en revanche il n’y a pas un chat à part quelques coureurs fracassés et moi. Côté alimentation je ne change rien à ce qui a bien fonctionné toute la journée, j’attrape un peu de fromage et des quartiers d’orange, je refais le plein de coca et d’eau, remercie tout le monde et repars dans la nuit.

J’attaque l’une des portions les plus faciles du parcours : 10km de descente pour un peu plus de 800m de D-. Dans mon souvenir il n’y a pas grand-chose de compliqué dans le col du Joly, ça devrait rouler. J’ai déjà hâte de retrouver Laurence et de pouvoir me glisser dans des vêtements secs. Je rallume ma frontale et m’engage sur un large chemin caillouteux. Je suis loin de descendre comme une fusée, mes quadris commencent à tirer et les cailloux m’échauffent la plante des pieds. Je croise un coureur qui remonte le chemin, il a dû oublier un truc plus haut. Je me retrouve à présent tout seul dans la nuit, il va falloir faire bien attention au balisage. Ça fait un petit moment que je ne me suis plus perdu sur un trail, j’apprécierais que la série continue !

Le chemin descend imperceptiblement avant de remonter un peu. Il me semblait qu’il n’y avait aucune côte sur cette portion, je déchante. Je n’aime vraiment pas les surprises, je pleurs mon profil rincé par la sueur et la pluie. La prochaine fois je ferais ça bien ! Je prends une petite gorgée de coca mais mon estomac riposte d’une remontée acide. Pouah… Le pauvre vieux a dû avoir une dure journée lui aussi, je vais le laisser respirer un peu. La descente ne devrait pas me demander trop de ressources, je profiterais du ravitaillement pour me remettre en état. Je monte d’un bon pas avant d’apercevoir une frontale qui me suit à une cinquantaine de mètres. Je suis content de faire cette portion de nuit, je distingue les formes de remontées mécaniques à quelques mètres de moi. La nuit est bien sombre, je ne vois rien. Tant mieux !

Il tombe encore un petit crachin mais la météo s’est bien améliorée depuis le col de la Sauce. Les lumières de la vallée sont en vues, les contamines ne sont pas loin. En revanche j’aperçois encore des éclairs au loin, j’espère qu’ils ne sont pas dans le secteur du col de Tricot… Je me faisais une joie de passer là-bas mais je commence à appréhender cette partie. Il y a beaucoup de dénivelé et une longue descente, si on ajoute un orage à l’équation ça risque d’être un calvaire… Je vais me contenter de penser aux Contamines pour le moment. La descente est très facile pour le moment, on alterne chemins blancs et petits singles qui coupent, les kilomètres passent bien. Le coureur qui me suivait fini par me rejoindre, nous commençons rapidement à discuter, chacun content de ne plus être seul.

Nous papotons tranquillement en dépassant quelques coureurs, j’ai toujours mal aux cuisses et mon genou droit commence à me faire souffrir mais j’ai la tête occupée par autre chose, la douleur est bien compartimentée à l’arrière de mes pensées. Le chemin se fait plus technique et plus tortueux, c’est moins lassant que le début de cette longue descente. A mesure que nous perdons de l’altitude je commence à reconnaître des parties de chemin, Notre Dame de la Gorge ne doit plus être bien loin. Les derniers mètres de dénivelé sont longs, la douleur dans mon genou se fait de plus en plus vive, la dernière descente entre Bellevue et les Houches commence à m’effrayer sérieusement…

Nous débouchons enfin sur du plat, ouf ! Comble du plaisir, nous arrivons sur un bout de bitume ! Le douleur au genou se dissipe rapidement et mes jambes se mettent à tourner comme à l’entraînement. Nous relançons fort et dépassons pas mal de monde, j’ai l’impression de filer comme le vent lorsque je passe un kilomètre en moins de 5 minutes. Mon compagnon à l’accent du sud me dit que la prochaine section a été raccourcie, amputée d’une montée et ne fait que 12km. Je suis assez surpris mais ravis de cette nouvelle, par contre je ne vois pas trop comment ils ont fait pour enlever 4km et enlever une montée. Il faut que je demande confirmation au ravitaillement mais je commence à me préparer à une portion moins difficile que prévu. Je serre le poing, ça va le faire ! Je pense même pouvoir passer sous la barre des 20h si mon état ne se détériore pas. Nous traversons la zone de loisir du Pontet et continuons sur un chemin. Après deux kilomètres à cavaler je commence à accuser le coup et baisse la cadence pour ne pas me détruire avant les difficultés à venir. Les lumières de la ville sont en vue, il y a quelques personnes sur le côté pour nous encourager, ça sent bon le ravito ! J’entre enfin dans les contamines et suis assez surpris de retrouver de la vie après ces quelques heures en quasi solitaire dans la montagne. Je passe devant un bar, un groupe bien aviné m’encourage en passant. Le contraste entre eux et moi me fait bien rigoler. J’ai quand même hâte d’être à leur place ! Laurence m’attend un peu plus loin. Je fais les derniers mètres en marchant avec elle en direction du ravito. Je la quitte pour passer par l’entrée des coureurs, il faut encore faire le tour de la tente, quelle joie !

Il n’y a pas foule ici, je commence par aller me restaurer. Le salé m’attire de moins en moins, les quartiers d’orange en revanche… Je refais le plein de carburant et constate que mes jambes flageolent légèrement, je ne me sens pas au meilleur de ma forme… Je vais retrouver Laurence et lui annonce que la prochaine portion a peut-être été raccourcie, je lui demande si elle peut essayer de se renseigner pendant que je me change. Plus j’y pense et plus cela me paraît bizarre… Laurence revient vers moi et m’annonce la sentence : c’est bien 16km et 1500D+ qui m’attendent. Entre ma douleur au genou, mes jambes qui tremblent et cette mauvaise nouvelle, mon moral s’effondre. J’ai peur de repartir. Laurence commence à me parler de sieste.  Je suis complètement perdu, je dois y retourner mais je sens que je suis dans le dur. Les montées vont être difficiles mais c’est les descentes qui m’effraient le plus avec mon genou en compote, je ne sais pas si je pourrais courir. Je ne suis plus très lucide, je suis en hypo suite à ces 10km sans m’alimenter, malheureusement je n’en ai pas conscience à cet instant. Apparemment je suis arrivé 108ème à ce ravitaillement, c’est très bien mais je sais que je vais perdre des places à présent, mon genou est trop amoché pour que je puisse continuer comme ça. J’ai l’air d’inquiéter Laurence qui insiste pour que je fasse une sieste, je me laisse guider et lui dit de me réveiller dans 30 minutes. L’idée de terminer sous les 20 heures et bien classé est définitivement enterrée, mon seul objectif est d’arriver à Chamonix. Je m’allonge sur un banc et essaie de trouver une position pas trop inconfortable. Je glisserais bien dans le sommeil mais un petit groupe à côté de moi parle très fort et m’empêche de sombrer dans les limbes. Mon corps se détend mais mon esprit cogite, j’alterne entre l’appréhension et l’envie d’en finir, je sais que quoi qu’il en coûte j’irais au bout, quitte à terminer en rampant. Je n’ai plus l’envie mais je suis déterminé. Le cheminement de mes pensées est terminé lorsque Laurence me réveille, je suis prêt à repartir.

J’ai froid, je suis raide comme un piquet mais j’ai éliminé tout doute : j’y retourne. Laurence me demande si je suis bien sûr, j’essaie d’écourter la discussion autant que possible pour ne pas craquer à nouveau. Je vérifie mon équipement, remplis mes bidons, profite encore un peu des encouragements de Laurence et repars dans la nuit en serrant les dents.

Les premiers pas ne sont pas les plus faciles, mon corps s’est complètement refroidi pendant ces 30 minutes de sieste, je n’arrive plus à plier les jambes, tous mes muscles me font mal, la plante de mes pieds me brûle. Des escaliers m’attendent pour sortir de la zone de ravitaillement. Gloups. Je passe tant bien que mal mais je commence à me faire beaucoup de souci pour la suite. Si je ne retrouve pas un peu de souplesse je vais devoir me faire évacuer par l’hélico au milieu du Tricot…

Je repars dans les contamines en marchant. La raideur des muscles a l’air de s’estomper à mesure qu’ils se réchauffent, avec la montée qui s’annonce elle devrait rapidement ne plus se faire sentir. Par contre je n’arrive pas à me réchauffer, je me suis pourtant bien couvert, j’ai un short sous mon collant, un t-shirt à manches longues et un coupe-vent sec en haut. Malgré tout ça je continue de grelotter… Je sens venir le chemin de croix. J’ai beau être résolu à en terminer, je n’en appréhende pas moins cette dernière section de montagne. J’ai hâte d’atteindre les Houches… Courage, deux cols de 600m et une longue descente dont je n’ai plus le profil en tête à avaler.

J’entame la montée avec un peu de bitume, je monte mieux que ce que je craignais. Je rattrape deux coureurs, l’un d’eux à un drapeau Suisse dans le dos, j’ai beau avoir eu confirmation que le tronçon n’avait pas été modifié je demande quand-même s’il sait dans quoi on s’embarque. Il doit être dans un monde parallèle au mien, il me répond qu’on en a pour 4 heures et une bonne vingtaine de kilomètres. J’aurais aimé une réponse très précise mais apparemment personne n’a étudié le profil, je passe devant lui en pestant dans ma barbe. Marre de ces coureurs qui avancent comme des moutons !

Grogner me fait du bien, je retrouve un peu l’envie d’avancer et j’en oublie ma peur. Je retrouve enfin un chemin, la pente n’est pas trop violente, mes jambes tournent de mieux en mieux. Je dépasse une coureuse allongée dans un virage, un coureur est avec elle, ils me font signe que tout va bien. Je continue ma route et commence à remonter sur un nouveau traileur que je dépasse lorsque le terrain devient un peu plus technique. Me voilà de nouveau seul au monde. L’air est frais, mes jambes vont mieux et j’avance mieux que prévu,  les sensations sont bonnes à nouveau ! J’arrive au sommet du col assez rapidement finalement et j’attaque la descente. Aie, ça coince à nouveau… Le chemin n’est pas très technique mais dès que je dois faire un mouvement qui change de l’ordinaire j’ai une méchante douleur sous la rotule qui m’élance. J’essaie d’alterner marche et course mais la proportion de course est de plus en plus faible. Je finis par me résigner à marcher.

Le brouillard s’est levé, le ciel est bien couvert, il n’y a plus rien à voir. Et dire que j’espérais arriver à Miage avec la pleine lune et les étoiles… Je pourrais être sur le périphérique parisien, j’aurais le même paysage… Quelle poisse ! Un spot lumineux a été installé au sommet du col de Tricot qui me toise à présent. Si le col est assez impressionnant de jour, il l’est encore plus de nuit. Le sommet a l’air d’être à des années lumières… Je n’ai pas très envie d’aller me frotter à ce col, je préfère m’arrêter et soulager ma vessie… Je repars en marchant en me disant que j’aurais peut-être intérêt à reprendre des forces avant de m’attaquer à cette dernière grosse difficulté. J’ai un mini snickers qui traîne, c’est le seul truc qui me fasse encore un peu envie. Il est plus frais que celui de tout à l’heure, c’est tout de suite mieux ! Je mâche un peu et rince avec une bonne gorgée d’eau tout en avançant en direction du pied du col.

Plus j’approche et plus le spot au sommet me fait l’effet d’être l’œil de Sauron. Allez jeune hobbit, c’est parti pour l’ascension de la montagne du destin ! Une frontale, sans doute Gollum me suit à une cinquantaine de mètres, je vais essayer de ne pas me faire croquer. Quelques rares lumières sont visibles devant moi dans le col, au moins ça ne bouchonnera pas ! Je me souviens avoir pavoisé la veille avec Laurence en lui disant que le Tricot n’était pas non plus très raide, je commence à regrette ma grande gueule… Ça monte plus que dans mon souvenir et j’avais oublié qu’il y avait pas mal de gros cailloux à enjamber…  J’ai l’impression que mes jambes tournent au ralenti mais je suis rassuré lorsque j’aperçois le coureur devant moi qui ne fait qu’un pas lorsque j’en fais deux. Je repense à la montée que j’ai faite l’année dernière avec Laurence juste après le pique-nique, une heure pile-poil. Si je tiens le même rythme ce n’est pas si long. Je m’accorde une petite concession néanmoins : une pause tous les 100m d’altitude pour boire une gorgée et souffler. Je dépose le coureur qui était devant moi et continue à grimper. Je transpire comme une bête dans mes vêtements, j’ouvre tout ce que je peux pour chercher l’air. C’est dur. Je regarde mon altimètre presque à chaque pas, j’ai l’impression d’être au summum de l’effort. La première pause est salvatrice, ces quelques secondes me permettent de récupérer et repartir sur une bonne base. Les 100 mètres suivants se passent mieux, je ventile mieux et seuls les derniers mètres de dénivelé me semblent longs. Je jette un œil à mon chrono, j’ai mis 6’30 environ pour monter ce tronçon. J’avance bien plus vite que prévu, génial ! Je continue de gravir le col en enchainant les portions de 100m sur un rythme égal, l’œil toujours rivé à mon altimètre. Certes j’en bave mais je passe un finalement bon moment dans ce col que je connais bien. Avec ce petit exercice de fractionné j’ai l’impression d’être à l’entraînement, c’est très sécurisant. J’en oublierais presque la descente qui m’attend… Je risque un œil au-dessus de moi, l’œil de Sauron est juste là ! J’ai même rattrapé un coureur qui était pourtant très loin lorsque j’ai commencé le col. Je suis très content de moi lorsque je passe le sommet, j’aurais mis moins de 45 minutes.

Plusieurs bénévoles sont là pour nous pointer, j’en profite pour demander ce qui nous attends, je me rappelle trop bien la descente du col mais je ne vois plus du tout la remontée vers Bellevue. D’après le bénévole il y a une montée sèche et quelques petits coups de cul ensuite. Plus jamais mon profil ne s’effacera, c’est trop inconfortable de ne pas savoir exactement à quelle sauce on va être mangé !

J’osais espérer que le terrain ne serait pas trop gras de ce côté du Tricot, perdu ! Le chemin se résume à une succession d’ornières, je patine et mon genou se rappelle immédiatement à moi. Impossible de courir là-dedans, je marche aussi vite que possible mais même comme ça mon genou ne me lâche plus. La douleur est de pire en pire, elle irradie de partout. Les minutes sont longues, mon altimètre m’indique que je descends à l’allure d’un escargot endormi, je vais y passer la nuit… Des coureurs me dépassent, me donnant encore plus l’impression de faire du sur place. J’ai de nouveau le moral dans les chaussettes, c’est rageant d’être si bien dans les montées et de ne rien pouvoir donner dans les descentes. Je serre les dents et continue ma descente en essayant d’éviter tout mauvais mouvement à mon genou. Le terrain commence à changer, j’arrive dans la portion la plus raide et la plus technique de la descente : de la caillasse mouillée. Ô Joie ! Pour couronner le tout la brume est de la partie ! Je vois la pointe de mes pieds mais je suis ravi de ne pas chausser du 46… J’arrive à aller encore un peu moins vite et descend le plus prudemment possible, je ne joue plus ni le chrono ni la place, mon défi jusqu’à l’arrivée sera de ne pas chuter. Le bruit du torrent se fait de plus en plus prononcé, j’arrive enfin à la passerelle qui marque la fin de la descente. Je ne suis que l’ombre de moi-même mais j’ai toujours plaisir à passer sur ce pont suspendu.

J’arrive sur l’autre rive, direction Bellevue à présent ! J’avais complètement oublié ce chemin, il faut remonter dans des blocs transformés en lit de torrent par les derniers orages. Moi qui pensais en avoir terminé avec les pentes raides… J’avance doucement mais au moins mon genou se fait moins sentir. Les cailloux trempés sont très glissants, je manque de tomber la tête la première et me récupère in-extremis. J’en ai marre. Plein le dos. Plus jamais. Je poursuis quand-même, sans plaisir mais il faut bien que j’avance, je ne vais pas passer la nuit ici et je n’ai pas envie d’avoir une polaire abandonneur… La montée n’est pas de tout repos mais se termine pour me ramener sur un chemin en balcon assez plat. L’envie de courir m’a passé, je marche sans grande conviction, le cœur n’y est plus. J’ai perdu la notion du temps, j’ai à la fois l’impression d’être parti des Contamines moins d’une heure plus tôt et en même temps d’être là depuis de longues heures. Le sentier est de plus en plus casse gueule, certains passages sont chaînés, je passe en me cramponnant à tout ce qui passe. Au temps pour mon pied montagnard… J’ai l’impression d’être seul depuis des heures, ce chemin n’en finis pas. S’il n’y avait pas cette foutue polaire finisher à aller chercher… Deux frontales me rattrapent, j’essaie de me remettre en course en emboitant leur pas. Nous débouchons de la forêt et traversons les rails du tramway,  une lanterne un peu plus haut montre le chemin, j’ai l’impression qu’elle est encore 150m plus haut. Pffff…. Je pensais avoir fini de monter… Illusion d’optique ou cerveau qui commence à péter une durite ? La lanterne était à 20m… Un poste de pointage nous attends, je demande à nouveau combien il reste avant les contamines. Le bénévole m’annonce très sûr de lui 4,7km. Enfin une bonne nouvelle !

J’attaque la descente dans l’herbe glissante, les deux coureurs qui étaient avec moi ne sont plus en vue. Je les retrouve un peu plus loin, ils sont passés par un chemin parallèle de l’autre côté d’une haie. Il faut dire que ça manque de balisage dans le secteur… Un chemin part à gauche, un autre à droite et le balisage est entre les deux. Le chemin de gauche m’a l’air d’aller dans la bonne direction, je tente ma chance pendant que les deux autres coureurs hésitent. J’ai un petit instant de stress avant de retomber sur du balisage, ouf ! Je suis tellement soulagé que j’en oublie de les appeler. Je continue ma descente en marchant, j’ai toujours trop mal pour courir. Mon GPS m’indique que je n’avance pas, l’altitude ne descend pas et la distance est pratiquement figée. Ca va être long… J’essaie de relancer mais j’ai définitivement trop mal. Je me fais dépasser de tous les côtés à présent, le moral en prend encore un coup. J’en ai presque envie de rendre mon dossard aux Houches pour aller mes coucher plus tôt, merde à la polaire ! J’essaie régulièrement de courir mais rien n’y fait. Un nouveau coureur me rattrape, j’en ai marre de ne pas avancer et de me faire griller de tous les côtés… Tant-pis, je ne sais pas quelles seront les conséquences mais j’assumerais, je prends sur moi et recommence à courir. Je fractionne au début avant de m’accoutumer à la douleur et de reprendre un rythme quasi-normal. De toute façon j’avais presque aussi mal en marchant… La douleur sera un peu plus violente mais durera moins longtemps… Je quitte enfin la forêt et retrouve le bitume, ça y est je reconnais les lieux ! Les Houches m’attendent un peu plus bas, je repère le clocher : le ravito est juste à côté. Encore deux kilomètres. Le coureur qui me rattrapait est toujours là mais commence à perdre du terrain. La dernière portion ne m’effraie pas, je commence à faire mes calculs, en marchant à 6km/h il me faudra environ 1h20. Je m’en passerais bien mais ça ira ! Je descends sur la route qui serpente bien trop à mon goût mais petit à petit j’approche du clocher. Un virage puis un autre et j’arrive dans la rue principale des Houches. Laurence est en train de discuter un peu plus loin. Enfin !

Je lui fais rapidement part de mon état peu brillant et file au ravitaillement, Laurence ne veut pas m’y suivre et préfère m’attendre à la sortie. Je salue les bénévoles et me rue sur les quartiers d’oranges. Je les dissèque machinalement avant de me rendre compte que j’en ai déjà ingurgité plus de dix.  Je bois un peu et recharge mes bidons avant de demander s’ils ont du courage à me donner. Ils n’ont pas, zut, ça m’aurait bien aidé… Je sors de la tente et retrouve Laurence, nous discutons encore un peu et je lui donne ma ceinture porte bidon dont je n’aurais plus besoin, j’ai encore 1L de boisson et il commençait à me lacérer le dos. Je sais que je perds du temps mais peu importe, je ne joue plus rien, je veux juste en terminer.

Je repars pour ces huit derniers kilomètres et 140m de dénivelé. Rien de compliqué mais je ne me sens plus capable de courir. La fatigue est supportable, au contraire je sens que j’ai l’énergie pour avancer. J’ai juste trop souffert  dans la dernière descente, je ne veux plus subir ça, j’appréhende trop la douleur qui va se réveiller dans mon genou si je tente de trottiner. Je marche et rattrape le coureur qui me suivait à la fin de la descente, je lui demande comment il va mais il ne parle pas français. Zut, j’aurais bien discuté un peu. Je passe devant en commençant à me maudire de ne pas apprendre, de continuer à m’inscrire sur des trails toujours plus long alors que je sais très bien que je finirais en râlant. Je commence à crier tout seul pour évacuer. « Qu’est-ce que je fous là ? » « Putain ! J’en ai marre ! » Désolé pour les habitants des Houches qui devaient passer une bonne nuit… Je cherche mon chemin, un jeune sous un abribus me l’indique. Je suis complètement perdu dans le temps, je me demande ce qu’il fiche là au milieu de la nuit. La route monte pour enjamber la nationale puis redescend un peu. Il n’y a que 10 mètres à descendre mais j’ai l’impression que mon genou ne passera jamais. Le coureur de tout à l’heure me dépasse à nouveau de même qu’un autre coureur qui a l’air plus frais. La route redevient plate et longe l’Arve, voilà qui me convient mieux. Mes jambes sont en bon état pour la marche, j’accélère autant que possible sans que le rythme ne soit inconfortable. Mon GPS m’indique que je marche Je dépasse à nouveau le coureur espagnol qui s’accroche derrière moi, sa frontale est réglée plus fort que la mienne, j’ai du mal à voir mes pieds mais je n’ai aucune envie de pousser la puissance de la mienne. Je préfère augmenter la cadence pour le décrocher. J’avance encore assez correctement, je passe ce kilomètre en 9’01. A ce rythme il devrait me falloir 1h10 pour rallier l’arrivée ! Les sensations sont bonnes, la douleur est presque digérée, le moral revient peu à peu. La frontale dans mon dos me gêne toujours, je tente quelques pas de course pour creuser le trou et être encore un peu seul. Les cuisses protestent un peu mais la machine se remet en route, ça ne va pas si mal finalement ! Je ne me sens pas capable de courir jusqu’à l’arrivé et profite de chaque occasion pour marcher. J’essaie de fractionner en alternant 30s course et 30s de marche quand le terrain ne monte pas, le corps répond bien et j’ai enfin la sensation d’avancer. Le décompte a commencé, encore 6km avant l’arche. Encore 5,5km. J’espère juste qu’on n’aura pas à monter vers la statue du Christ Roi mais cela m’étonnerais, je me prépare au pire quand même… Le chemin a l’air de continuer à longer l’Arve et les kilomètres s’égrènent, ça commence à sentir bon. J’entre dans les cinq derniers kilomètres, si mes comptes sont bons on devrait finir à plus de 127 bornes au compteur aujourd’hui. Le parcours a été un amputé du passeur de Pralognan mais avec ces kilomètres de rab et les conditions climatiques je n’aurais pas le sentiment d’avoir une polaire bradée. Je me sens de mieux en mieux et j’aimerais vraiment passer la ligne d’arrivée en courant, je vais essayer de ne marcher que dans les montées. Les premières minutes sont un peu difficiles puis le moteur se met à ronronner de nouveau, j’ai l’impression de faire mon footing du dimanche matin. Je commence à croiser quelques randonneurs matinaux, j’approche de la ville ! Chaque kilomètre est un peu plus rapide que le précédent, le plaisir de courir est retrouvé. J’ai l’impression que je pourrais continuer ainsi pendant des heures tellement je me sens bien.  J’arrive au lac des Gaillands, cette fois j’y suis presque. Il doit me rester deux kilomètres à parcourir. Un petit groupe est là pour encourager, je les remercie en passant et essaie d’accélérer un peu le rythme, j’arrive même à courir dans un faux-plat montant !

Je retrouve la route des Gaillands et repère un bout de balisage réfléchissant qui part dans une rue à gauche.  J’espère que c’est un raccourci… Je venais d’éteindre ma frontale mais je vais la rallumer finalement, le balisage est quasi invisible autrement ! Me voilà embarqué dans une longue ligne droite qui monte légèrement, l’envie de marcher est grande mais je repère une frontale quelques centaines de mètres derrière. Ca me ferait mal de me faire dépasser maintenant ! Je poursuis l’effort et remet encore un peu d’intensité (si on peut encore appeler ça de l’intensité…). Je suis très inquiet à l’idée de me perdre si près du but, le balisage n’est pas très dense et difficile à voir dans ce milieu urbain, je mets ma lampe presque à pleine puissance et scrute toutes les ruelles pour être bien certain de ne pas me planter. J’arrive enfin au bout de la rue, une bénévole m’indique le chemin à prendre et j’arrive dans les rues piétonnes de Chamonix. J’y suis enfin ! Il n’y a pas foule mais ce n’est pas le désert pour autant, je profite des félicitations des quelques courageux tout en lâchant mes dernières forces dans la bataille, les sensations sont tellement bonnes ! Tout mon corps me fait mal mais le moteur ronronne et c’est un véritable feu d’artifice émotionnel dans ma tête. La rue me semble interminable et pourtant je voudrais encore profiter de ces instants. Ma montre m’indique que mon dernier kilomètre est passé en moins de 6 minutes, je ne pensais pas en refaire un si rapide en partant des Houches ! Un camion est en train de roulet en face de moi, mon ascenseur émotionnel fait un nouveau bon. « Ah non, il ne va pas m’*$@€&* maintenant celui-là ! » Le chauffeur s’écarte pour me laisser passer et me fait un signe, mes émotions font un nouveau bon dans l’autre sens.  J’aperçois enfin les barrières qui marquent le dernier virage, un second camion est en train de sortir, un bénévole est tout embêté, il a peur que je ne puisse pas passer. Après la colère, cette fois c’est un fou rire qui me prend. J’ai couru 21h, lutté pendant les cinq derniers kilomètres pour lâcher l’espagnol qui me collait au train et je vais passer la ligne avec lui parce qu’un camion m’a bloqué la route et fait perdre deux minutes. Finalement il reste un petit couloir pour que je puisse passer sans m’arrêter, le bénévole s’excuse, je lui fais signe qu’il n’y a pas de problème. Laurence m’attend juste derrière, je m’arrête le temps de l’embrasser et je trottine jusqu’à la ligne d’arrivée dans l’indifférence générale. Je tente un petit saut pour rigoler, mon genou blessé et mes cuisses broyées ne sont pas du même avis, je peine à décoller les deux pieds du sol mais c’est l’intention qui compte…

Je vais m’allonger sur le podium le temps que Laurence me rejoigne, je suis surpris de voir que je suis essoufflé malgré le peu de vitesse que j’avais. Je suis vidé, je meurs de faim, je rêve d’une douche chaude et d’un lit mais la seule sensation de vider et remplir mes poumons sans avoir d’effort à fournir vaux toutes les récompenses du monde. Laurence me rejoins, je titube dans sa direction et la serre enfin dans mes bras en n’ayant plus à songer au chrono qui tourne. Je relâche toutes les émotions de la journée, bonnes et mauvaises. C’est grâce à elle si j’ai pu terminer, elle a trouvé les mots qu’il fallait aux moments critiques et a assuré sur tous les ravitaillements, elle mériterait elle aussi une polaire finisher…

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